L'illettrisme, un handicap vécu comme une honte par 3 millions de Français

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Diane FALCONER (AFP)

PARIS — "A 43 ans, quand j'ai réussi à écrire de mes propres mains, c'était comme un chef-d'oeuvre, comme un peintre qui termine une toile", raconte Jean-René Mahé, un ancien illettré qui a longtemps caché son handicap avant de créer son association de lutte contre l'illettrisme.

En France, l'illettrisme touche, selon l'Insee, 3,1 millions de personnes, soit 9% de la population âgée de 18 à 65 ans, qui ont été scolarisées en France ou dans un pays francophone et rencontrent des difficultés dans la vie quotidienne pour écrire une liste de course, faire des démarches administratives, trouver son chemin sur une carte...

"On souffre beaucoup quand on a conscience de son handicap. On a toujours besoin d'un tiers", explique Jean-René, 54 ans, fondateur de l'association Addeski ("réapprendre" en breton), basée en Bretagne, à deux jours de la journée internationale de l'alphabétisation, mercredi 8 septembre.

Comme lui, tous les illettrés ont été scolarisés, mais ne maîtrisent pas, ou plus, les compétences de base pour lire, écrire ou compter. Selon l'Insee, les trois-quarts d'entre eux ont le français pour langue maternelle.

"Dès 6 ans, je me suis rendu compte que face à la lecture, j'étais devant un mur infranchissable", déclare-t-il.

A 16 ans, il quitte l'école pour travailler dans une usine d'abattage de volailles. Mais après 28 années de travail à la chaîne et de manutention, son corps est trop abîmé et son épaule devient inutilisable. Il est licencié.

"Ca a été les années les plus noires de ma vie. Impossible de rebondir. Je savais écrire mon nom, mon prénom et c'est tout. J'étais incapable d'écrire mon adresse. Il me fallait parfois un quart d'heure pour écrire un mot, se souvient-il. Et puis j'en avais marre de me battre, de me cacher."

Souvent, les illettrés vivent leur handicap dans la honte et utilisent des techniques de contournement subtiles pour ne pas dévoiler leurs difficultés. "Quand je devais me déplacer en voiture, j'attendais d'être à 25 km de chez moi pour demander mon chemin et avouer que je ne savais pas lire", reconnaît-t-il.

Dans son entourage, peu suspectent son problème, qu'il cache même un temps à sa femme et ses enfants avant d'oser franchir le pas et s'inscrire à des cours de lecture.

Xavier Péron est écrivain public au sein de l'association Aidema ("Aide aux démarches administratives") à Paris (XIXe). Il s'occupe souvent de personnes illettrées, voire totalement analphabètes, qui ont besoin d'aide pour lire un courrier, contester une contravention ou faire une demande de logement.

"La première fois qu'ils viennent, certains sont intimidés, ils portent une souffrance par rapport à leurs problèmes. Beaucoup font un complexe d'infériorité. En fait, ils cherchent tout simplement à être considérés, traités d'égal à égal", déclare-t-il.

Avec son association, il tente de rendre les gens plus autonomes et leur redonner confiance en organisant des initiations à internet ou des visites culturelles.

"Dans la société, les illettrés sont la catégorie la plus défavorisée et la moins respectée", constate Jean-René, dépité.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, plus de la moitié (57%) ont un emploi et environ 8% des personnes qui travaillent sont illettrées, selon l'Insee.

"J'ai passé un demi-siècle sans savoir lire, déclare-t-il. Je me suis dit, +un jour, je serai le porte-parole des illettrés+." C'est ainsi qu'en 2003, il crée l'association de lutte contre l'illettrisme, Addeski, basée à Morlaix (Finistère). Aujourd'hui, il souhaite écrire une autobiographie pour raconter son parcours.

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